Grégory Autier est directeur de S3A. Cette association de soutien à la vie associative et citoyenne accompagne les trois conseils citoyens de l’intercommunalité Caen la mer. Son témoignage permet d’identifier les bénéfices d’un tel accompagnement : la continuité de cette animation dans le temps permet un ajustement de la posture au fur et à mesure. Elle assure aussi une « mémoire », au-delà du turn-over de ses membres. On retient également que son positionnement tiers par rapport à l’État et aux collectivités locales a contribué à sa légitimité vis-à-vis des conseiller·es citoyen·nes et des habitant·es. Par ailleurs, le conseil citoyen a bénéficié de sa connaissance fine du territoire et des acteurs locaux. Enfin les compétences en formation et accompagnement du collectif de S3A ont aidé à la qualification des membres et à la structuration du groupe.
Les conseils citoyens face à des paradoxes
Grégory revient sur leur mise en place et sur la difficulté de remobilisation dans le contexte sanitaire. La question de la suite des conseils citoyens est également posée. La mise en œuvre des conseils citoyens au niveau local s’est faite rapidement. À Caen la mer, comme ailleurs, trop souvent le lancement rapide s’est fait au détriment d’une réflexion profonde et partagée sur les enjeux et les objectifs des conseils citoyens. Le lancement s’est heurté à une tendance : reproduire ce que l’on sait déjà faire et éviter de s’embarquer dans des propositions plus originales, parfois en risquant d’altérer le process de construction d’un collectif. Par exemple : partir sur l’idée d’une association, proposer des statuts rédigés par des professionnels, baser la feuille de route sur le calendrier du contrat de ville plutôt que sur celui des membres du conseil… « Trop souvent, on peut regretter que les collectivités ne se soient pas saisies dès le départ de la dynamique de création du conseil citoyen comme une opportunité d’entendre quelles étaient les priorités des habitants ». Grégory pointe également un autre paradoxe : « comment alors les conseils citoyens peuvent-ils tirer la légitimité du terrain, notamment celle des habitants, si on leur demande de se situer au niveau macro ? ». Il y a un changement de culture professionnelle des institutions à accompagner, qui se fait petit à petit avec les conseils citoyens et grâce à eux. Les professionnel·les qui animent les conseils citoyens ont un rôle à y jouer, qu’ils ou elles soient issu.es de la facilitation des dynamiques collectives, de l’éducation populaire, du champ de la cohésion sociale ou des métiers de la démocratie participative et de l’implication citoyenne.
Isabelle Lavillonnière, membre du conseil citoyen Calvaire Saint-Pierre à Caen, témoigne des difficultés du conseil citoyen et surtout de la nécessité d’insister et de réaffirmer la légitimité de celui-ci vis-à-vis des autres acteurs du contrat de ville. En contre-point, Isabelle raconte comment le conseil citoyen a trouvé son utilité lors du premier confinement : un soutien scolaire informel, un appui aux familles allophones, des solutions pour les familles dépourvues d’accès au numérique, des stratégies non numériques pour garantir la circulation des informations importantes et lutter contre l’isolement (porte à porte, papotages à la fenêtre, impression d’attestations, etc.). Une énergie et beaucoup de créativité ont été déployées pour atténuer la distanciation sociale et même garantir la (sur)vie pour certaines familles et personnes du quartier. La légitimité du conseil citoyen ne peut plus être remise en cause quand il trouve son utilité concrète dans l’urgence.
Le passage vers l’expérimentation
En rebond Mina Azzi, conseillère citoyenne du Sanitas à Tours, et Ida Tesla, de l’association Pih-poh et du collectif Pas sans nous, reviennent sur les effervescences citoyennes du Sanitas, en prônant une coconstruction de la politique de la ville au-delà du conseil citoyen. Le Sanitas est l’un des quartiers prioritaires de Tours, considéré d’intérêt national par l’ANRU. Il compte plus de 8200 habitant·es et bénéficie historiquement d’une attention des institutions et d’une vitalité associative. Nombre d’acteurs et actrices locaux sont investis pour le pouvoir d’agir des habitant·es et n’ont pas souhaité réduire le périmètre de la co-construction de la politique de la ville au seul conseil citoyen. Le centre social Pluriel(le)s joue un rôle de maillage et de matrice (soutien) au service des différentes dynamiques de pouvoir d’agir, plus ou moins à distance des institutions. “Certain·es habitant·es se détournent des propositions institutionnelles, dont le centre social et le conseil citoyen, d’où l’importance de multiplier les canaux pour travailler avec eux.” Pour Ida, l’implication citoyenne fonctionne davantage dans le cadre de chantiers participatifs. « Il s’agit de travailler avec un collectif informel sur la production de plusieurs alternatives. Un espace où les habitants définissent leurs propres projets » résume-t-elle.
Parmi leurs démarches audacieuses : la constitution d’un collectif d’habitant·es et d’associations qui a répondu et remporté un appel à projet innovant de la Ville pour un projet architectural et urbain pour l’un des sites du NPNRU. Aujourd’hui pour continuer cette dynamique d’activation citoyenne sur le quartier, Pluriel(le)s et l’association Pih-poh candidatent pour déployer l’expérimentation d’une table de quartier, en lien avec la fédération des centres sociaux et la coordination nationale Pas sans nous.
La mobilisation d’ATD Quart monde a également permis le lancement de l’expérimentation Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée. Enfin, ils participent à l’expérimentation-action des “maisons citoyennes en Centre-Val de Loire”, accompagné par Villes au Carré pour une démocratie permanente en région.
Les témoignages réunis ici mettent en lumière une question fondamentale : celle de la difficile articulation entre une logique formelle de régulation des relations publiques, et une logique informelle, tentant de concilier négociation avec la puissance publique et dynamique de mobilisation sociale. « On veut des conseils citoyens un peu moins experts et les reconnecter dans l’espace public »,« il faut reconnecter les différents espaces mis en place : décloisonner et mettre en lien tous les dispositifs ». Une tendance générale qui se dégage des échanges avec les participant·es de l’atelier : le poids des procédures participe de la dépolitisation des conseils citoyens. Tous les participants sont également préoccupés par la mise en sommeil de ces instances pendant la pandémie de Covid-19. En effet, les préoccupations individuelles, le manque de cohésion et de mobilisation au sein de certains conseils citoyens ont conduit leurs membres à se désintéresser et se mettre en retrait. « L’âme militante est encore vivante, mais les personnes sont à bout de souffle » précise une conseillère citoyenne. De cette crise ressort néanmoins un motif d’espoir : de nombreux conseils citoyens ont pu, notamment grâce à leur proximité avec la population, identifier les problématiques auxquelles cette dernière était confrontée et organiser des actions de solidarité.
Un atelier animé par Pierre-Édouard Martin et Hélène Delpeyroux pour le groupe Participation du RNCRPV